dimanche 2 novembre 2008

Tribute to Gerard Damiano



Même si je n'arrive toujours pas à trouver le tempo radiophonique, j'espère que ça viendra...

C'est avec délice et malice que je me dois d'ouvrir cette chronique par une oraison funèbre. Le magicien de la pipe, l'inventeur du film pornographique moderne et miteux, le metteur en scène le plus rentable du cinéma Gerard Damiano nous a quitté la semaine dernière. Réalisateur du oh combien fameux Deep Throat, Gorge Profonde pour les intimes, il fut à l'origine d'une épopée formidable qui rapporta près de 600 milions de dollars aux mafieux qui l'avaient initiée. Premier film pornographique à connaître une vaste diffusion, ce joli navet à 25000 dollars conte l'histoire d'une femme frigide qui découvre que son clitoris se trouve... au fond de sa gorge. Commence alors une odyssée homérique à la recherche de la jouissance, et une avalanche de fellations toutes plus inhumaines les unes que les autres: où l'on voit toutes les trentes secondes un membre de 30 cm englouti avec peine par une pauvre actrice sur le point de s'évanouir.

Le film aura connu un succès retentissant, grâce notamment (et peut être exclusivement) à l'action des autorités, qui interdirent les films sur le territoire de 22 des États d'Amérique, allant même jusqu'à trainer devant les tribunaux l'ensemble de l'équipe du film. S'ensuivit alors un renversement de valeurs comme il n'en existent que chez l'Oncle Sam: les gardiens intouchables de l'ordre moral furent violemment pris à parti et ceux qui se refusaient à voir le film se virent reprocher leur puritanisme vieux jeu: ainsi, peu à peu, le film atteint le réseau de salles traditionnel, et l'interdiction fut réduite aux moins de 17 ans non accompagnés... seulement. Sorti quelques années après la révolution sexuelle de mai 68, le film eut une réelle portée sociétale, ouvrant la porte à la banalisation de la pornographie et à la marchandisation/désacralisation, c'est à vous de choisir, du sexe. L'Amérique n'était pas encore repliée sur elle même, et sa jeunesse avait soif de transgression. Le retour de bâton ne se fit cependant pas attendre, et à l'épidémie de « throat rapes », tous les ados voulant voir leurs copines imiter Linda Lovelace, vinrent s'ajouter de scabreuses rumeurs sur le tournage (Linda Lovelace aurait du tourner certaines scènes le revolver sur la tempe). Il n'en fallait pas plus pour que l'euphorie retombe, et que Reagan se fasse élire. Bye bye sweet seventies, we miss you.




jeudi 30 octobre 2008

mercredi 15 octobre 2008

ça va guincher...


Yaiiiiii

ici à Oslo, la phase quotidienne d'exposition au soleil se fait de plus en plus courte et ce de façon inquiétante. Déjà, les premiers symptômes apparaissent, fatigue latente, paresse qui annoncent un hiver difficile...Mais comme disait la personne qui se trouvait sur ma gauche dans les toilettes hier soir "plus il fait nuit, plus on danse" (dans un anglo-norvégien pas très idiomatique). Et là comme par magie, le très actif label Boys Noize Records nous sort une compilation où l'on retrouve le bordelais et chouchou Strip-Steve, des remix inédits de Boys Noize, j'en passe et des meilleures... Vous pouvez avoir un aperçu de la playlist ici ou

jeudi 2 octobre 2008

ENTRE LES MURS - Lettre à Jacques Rancière


Monsieur Rancière,

j'espère que vous avez vu Entre les Murs.

Ce film rompt en effet de manière assez forte avec la définition que vous faites du cinéma standardisé "à scénario", dans les premières pages de la Fable cinématographique.

À la classique mise en scène d'une destinée, d'une évolution (plus ou moins) linéaire et centrale d'un certain nombre de personnages et de leurs parcours, ce film oppose une circularité systémique d'autant plus bienvenue qu'elle correspond exactement à celle à laquelle sont soumis les élèves du secondaire.

Le monde de contraintes qu'a décidé de filmer Laurent Cantet, dont la seule partie inamovible, le noyau, se compose de la salle de classe, de ces murs et de ces meubles que l'on voit lors des deux derniers plans du film, est un système disciplinaire fermé dans lequel il faut apprendre à cohabiter cinq, dix ans, avec les mêmes compagnons, les mêmes professeurs, et dans les mêmes lieux. Lieu de la répétition au premier abord, où tout ne fait que passer, il est le symbole de la circularité, d'un monde qui ne cesse, année après année, de se mordre la queue et de tout reprendre à zéro. Du premier dialogue, où une élève refuse d'écrire son nom sur une feuille ("mais pourquoi écrire nos noms?" Rien n'a changé, regardez! On est repartis pour une année, avec quelques nouveaux, voilà tout) au dernier où une autre élève avoue avoir vu passer l'année sans n'y rien comprendre, en passant par l'évacuation progressive de tout élément extérieurs à l'école, la structure du film se base sur cette circularité fermée, où l'individu n'existe que par rapport à l'école: dès le moment où il décide "de l'abandonner", Souleymane déconnecte son parcours de celui de l'école, et donc automatiquement du film. Dès le moment où son sort est scellé, le réalisateur l'abandonne complétement: si filmer le doute des professeurs concernés par son renvoi et s'y associer était permis lorsqu'il faisait encore partie de l'institution, il faut se résoudre à l'oublier dès qu'il est expulsé: c'est pourquoi aucun indice ne viendra nous éclairer sur la suite de son parcours "hors les murs". L'entrée de Carl vise d'ailleurs à rétablir immédiatement un équilibre systémique, et même numérique: l'un chasse l'autre, et la roue tourne.
Cela cependant n'induit pas une répétition permanente, ni un écrasement des individualités par le poids de l'inamovible: encadrés par un certain déterminisme, les mouvements des protagonistes ont un sens autre que celui de contribuer à la survie du système dans lequel ils agissent, autre que celui de valider les règles de la société: ils restent libres d'échouer ou de réussir, de rester dans le jeu ou d'en sortir, mais toujours entre les murs du collège: c'est ainsi que la mère de Souleymane n'apparaît que pour être un support à l'existence du personnage au sein de sa classe, pour apporter un éclairage sur son comportement dans cette pièce et non en dehors.*

Circularité du monde qu'il filme et qu'il ne met pas en scène, circularité du film, avec ces invariants qui pourtant ne sonnent pas comme des déterminants ou un poids. Et oui, année après année élèves et professeurs joueront au football ensemble pour se quitter, quelques soient les présents: l'homme passe, les murs s'encastrent. La force du film est de ne pas s'enfermer dans le fixisme, de ne pas s'arrêter: ce paradoxe qui m'échappe, dont je n'arrive pas encore à saisir le sens: comment, tout en montrant un monde figé, lui interdire tout immobilisme. Comment, malgré les 12 conseils de discipline sur 12 qui ont débouché sur une exclusion, réussir à introduire non pas un espoir, non pas une possibilité de variation, mais une potentialité de changement qui est déjà incluse dans le film, qui n'existe pas mais qui dans le même temps habite l'oeuvre(!).

La circularité du film, par son accouplement avec la circularité du réel décrit, débouche sur une expérience cinématographique nouvelle. En refusant les partis pris réalistes ou naturalistes, en choisissant plutôt de se calquer sur une structure du réel, Cantet opère tel un révélateur photographique et repousse la limite de la fiction cinématographique en la plaçant au-delà de la forme du documentaire, dans une nouvelle réalité faussement fictionnelle. Parce qu'il n'a recours ni à l'imitation ni à la mise en scène, il devient créateur au sens le plus "total" du mot, (re)créateur d'un univers, d'une superstructure dans laquelle l'immersion intégrale devient possible. Un monde à cheval entre les déterminismes, l'absence de sens et la liberté, un monde trop proche du notre pour ne pas nous y immerger. Plus besoin de fonctionner sur l'indentification, sur l'artifice: nous, spectateurs, nous retrouvons collés au film, aux personnages et à l'environnement, dans un statut nouveau, dans lequel nous ne faisons plus face au film, mais qui ne nous permet cependant pas de rentrer dans le film: un entre deux, des deux côtés de l'écran, à une place indéfinissable, radicalement nouvelle.

Je n'ai pas lu les critiques du film, peut être aurais-je du. Peut-être un journaliste a-t-il déjà décrypté de façon beaucoup plus claire, et aboutie, les enjeux de ce film. Et sûrement devrais-je finir la Fable cinématographique avant de vous envoyer ce mail. Mais il a été écrit à la sortie du film, car je sais que mes limites analytiques ne pourraient être dépassées que par le dialogue. Peut-être saurez vous voir plus loin que moi, dans cette même direction.

Désolé de m'être permis de vous adresser ce mail par trop brouillon, qui ne pourrait se justifier que par ma jeunesse. J'espère avoir le bonheur de pouvoir discuter avec vous, à la suite de ce message ou lors d'une projection du Cinéclub de Sciencespo. C'est par ailleurs une dimension intéressante du film, surtout si l'on fait le parralèle avec La Belle Personne, sorti quasiment dans le même temps: tandis qu' Entre les murs ne sort du collège que pour mieux l'expliquer, La Belle personne se refuse à rentrer dans la salle de cours si ce n'est pour y tirer une expérience extra-scolaire: c'est un film apolitique, asystémique. Reste à savoir s'il s'agit de deux films antithètiques qui n'ont rien en commun ou si l'un complète l'autre: la finitude, la perfectio d'Entre les Murs contrastant pour moi avec l'inachèvement de La Belle Personne, la première hypothèse serait à privilégier.

lundi 2 juin 2008

L'amant, de Marguerite Duras


Je voudrais manger les seins d’Hélène Lagonelle comme lui mange les seins de moi dans la chambre de la ville chi­noise où je vais cha­que soir approfondir la connaissance de Dieu. Etre dévorée de ces seins fleur de farine que sont les siens.





PAULO

Dans les profondeurs d'une Indochine encore coloniale, Marguerite Duras conte l'histoire d'un renoncement. Au sein d'une famille perdue, d'un environnement qui lui impose sa différence, une jeune fille de quinze ans va tenter de tracer son chemin, à cheval entre son désir d'émancipation et les obsessions de sa mère.

Lorsqu'elle rencontre un riche chinois, pendant une traversée du Mékong, l'adolescente prend immédiatement conscience de son empire, du désir qu'elle suscite chez l'homme. Habillée sans pudeur, elle accepte l'invitation que lui fait l'homme, croyant obéir ainsi aux directives de sa mère. C'est le point de départ d'une relation cachée qui va durer plus d'un an, donner un enfant mort-né, faire tomber l'opprobre générale sur la famille... et rapprocher éphémèrement mais éternellement mère et fille.

Marguerite Duras nous amène sur le chemin que va parcourir la jeune fille, cette initiation à la vie où, sous couvert d'une stricte obéissance à la parole maternelle, vont être bravés nombre d'interdits. Cette relation, lorsqu'elle sera mise à jour par la gestation de l'enfant, mettra fin à tout espoir de mariage pour l'adolescente en Indochine, sa réputation étant durablement entachée. Cela provoque la furie de sa mère, désespérée par cette nouvelle trahison (elle la voulait agrégée de mathématique, la fille préfère les lettres), qui la bat sous le regard sadique du frère aîné et les complaintes du petit frère apeuré. La fille jure qu'elle n'agit que pour l'argent, mais trahit ses sentiments par cette même phrase.

Ces sentiments, il semblerait que l'adolescente les refuse, ou tout du moins qu'elle n'en prenne conscience que très tard dans le roman. Plusieurs fois au long du roman, son amant est décrit comme « Le chinois de Cholen », dans une tentative de mise à distance extrêmement violente. Cette relativisation de ses sentiments, de son engagement personnel dans l'histoire, se retrouve aussi dans les descriptions: l'importance donnée aux objets, utilisés comme moyens de dépersonnaliser le récit, est quasiment obsessionnelle. De l'importance donnée au chapeau tout au long du roman jusqu'à la scène des adieux, où Marguerite Duras ne voit plus son amant, mais sa limousine noire dans laquelle il se cachait tous les soirs, l'auteur semble vouloir désincarner cette relation, la réduire à tout ses éléments superficiels qui n'en faisaient que le contour. Plus précisément, il semblerait que ces mécanismes se mettent systématiquement en place lorsque les raisons familiales commencent à s'immiscer dans son histoire d'amour, lorsqu'elle doit choisir entre sa volonté et celle de sa famille: le choix se portant systématiquement vers l'intérêt familial, Duras utilise ces artifices pour cacher, ou suggérer, la honte ressentie. Au contraire, lors des scènes d'union entre les deux personnages principaux, l'on assiste à un retour aux corps purs dénués de tout accessoires. Ainsi pouvons nous interpréter la douche systématique que fait prendre l'amant à la jeune fille comme une volonté de la débarrasser de toute autre possession, toute autre influence que la sienne. Le décor lui-même est réduit à sa plus simple expression- un lit, une fine persienne les séparant de la rue, alors qu'il est généralement très chargé dans le reste du roman (la nature luxuriante, les références constantes au mobilier familial, les restaurants chinois remplis de monde): c'est un retour aux cinq sens, tous intensément exigés lors de ces scènes, à la pureté tant physique que morale, dans un environnement neutralisé: la jeune fille se libère de toutes ses obligations, de tous ses calculs, et se laisse aller, pleurant chaudement, jouissant sans entraves.

L'expérience avec l'amant n'est pas seulement déterminante en ce qu'elle apporte directement à la jeune fille, mais aussi pour la relation avec sa mère. Si, comme nous l'avons vu, la mère réagit tout d'abord de manière extrêmement violente, c'est qu'elle a connu une histoire semblable qui a détruit sa réputation et son couple, menant son amant au suicide. Sa ruine et sa solitude proviennent de cet amour extra-conjugal, et elle cherche donc à ce que sa fille ne reproduise d'aucune manière ce schéma et se range le plus vite possible, avec un bon parti si possible. En la voyant refuser le chemin tout tracé qu'elle lui proposait, la mère se désespère. Pourtant, plus tard, c'est cette relation frustrée qui va permettre aux deux femmes de connaître leur seul moment de complicité, alors que la mère, dont la folie a empiré, connaît une phase de calme. Elles vont alors furtivement discuter de cette relation, de l'amour qui en est né, et, implicitement,, de l'aventure de la mère. Cette scène correspond à la fois au seul moment où la fille réussit à avoir un peu de complicité avec cette mère qu'elle aime mais qui a toujours été absorbée par le fils aîné, un fils prodigue, mais elle est aussi celle du détachement définitif à son égard: plus jamais elle ne pourra ressentir rien pour elle, comme si ces quelques instants d'intense communion lui avaient suffit pour se débarrasser de ce personnage ambigu, oppressant mais jamais « présent ».

Il faut re-situer cette aventure amoureuse dans le contexte familial si particulier qui entoure la narratrice. Née d'une mère qui a sombré dans la folie, et qui n'a d'yeux que pour son fils aîné, elle souffre beaucoup de la présence tutélaire de ce dernier, le frère imposant avec excès sa posture paternelle à toute la famille. Tyran, il comprends la folie de sa mère et sait comment la manipuler, lui tirer le moindre souffle de vie et d'argent: la mère en est presque à prostituer la fille pour alimenter les pêchés de son fils, et l'ambiguïté littérairement suggérée de la relation entre le Chinois et la narratrice semble montrer que Duras elle-même ne savait pas réellement ce qui la poussait dans les bras de l'asiatique, si sa propre volonté où le désespoir de sa mère.

Il a souvent été dit que dans ce roman Marguerite Duras acceptait enfin d'affronter la réalité autrement que par la suggestion et les non-dits, qu'elle osait porter son regard sur son passé sans pudeur. Pourtant, il existe un non-dit de taille qui pèse sur l'ensemble du roman: les noms des protagonistes. Nous ne connaîtrons jamais les noms du frère aîné, de la mère ou encore du « Chinois ». Volonté de mise à distance? Refus de réécrire son passé par l'invention de nouveaux noms? Si l'existence du père n'est même pas suggérée, il y a pourtant un personnage masculin qui, par son absence continuelle, par sa disparition soudaine, prend une importance particulière: il s'agit du frère cadet, Paulo. Se maintenant aux marges du roman, dans les coins des pages, il est pourtant le soutient le plus important de l'auteur dans sa découverte de la vie. Discret, malingre et peut-être atteint de débilité, il semble bénéficier d'une sensibilité particulière, ou tout du moins d'une connexion particulière avec sa soeur: ainsi, alors qu'elle se fait battre, il ne peux que gémir, sans s'exprimer, sans comprendre, alors que le frère se régale des cris de souffrance de sa soeur, en attends plus (« il sait que la petite est nue, et frappée, il voudrait que ça dure encore et encore jusqu'au danger », page 74). Pourtant, la protagoniste sens sa présence, la comprends, s'appuie dessus: grâce à la peur du cadet, la mère laisse passer sa rage.
Paulo, ce frère qui ne parle pas, n'interviens pas, n'apparaît que dans les moments les plus durs, est le seul à être nommé. Paulo l'impuissant, celui qui rage de voir son aîné imposer le mal, celui dont le coeur d'enfant ne suffit pas à équilibrer l'environnement malsain dans lequel baigne la narratrice. Paulo l'aîné de deux ans, mais qui recherche la protection de la narratrice, son amour, sa compréhension. Paulo qui est omniprésent mais dont l'action se réduit à crier, jouer et mourir: il n'existe que parce qu'il n'a pas été, parce qu'il aurait pu être. Il est l'alter-ego, le miroir des souffrances de l'auteur, de sa passivité. Tout comme Hélène Lagonelle, son autre amour, il quittera Duras trop tôt, l'abandonnera à sa solitude et à ses perspectives condamnées. Tout comme Hélène Lagonelle, sa disparition sonne le glas d'une période de sa vie, lui retirera toute raison d'être et la forcera à partir. Tout comme de la part Hélène Lagonelle, son réconfort ne vient pas des mots, mais de cette certitude qu'ils sont maintenant superflus, que l'on peut s'en passer. Le départ de Lagonelle préfigure certainement celui du frère, et avec lui la disparition de tout espoir pour Duras: ils étaient à l'origine des seules respirations qu'elle pouvait se permettre (Paulo l'aide à s'évader en esprits, Lagonelle lui offre le fantasme), et tous deux partent en laissant une relation inachevée, frustrée. Mais contrairement à H.L, qui est mise à distance par l'initialisation de son nom, Paulo ne part jamais réellement, car son départ est inacceptable, incompréhensible. Son absence devient omniprésence, obsession.


Le statut de la relation entre Duras et le Chinois est très ambigu tout au long du roman. S'il semble évident que la volonté de la narratrice est de braver les interdits et de vivre sa relation pleinement envers et contre tous, elle ne peut éviter certains écueils: même lorsqu'elle croit agir envers la parole maternelle en ayant une relation amoureuse et non intéressée, Duras ne fait que reproduire son même schéma d'action. Mais c'est surtout vis-à-vis de son frère qu'elle ne réussit à rompre la relation sado-masochiste et quasi-incestueuse qu'il lui impose. Ce blocage est magnifiquement montré page 68, alors que le frère se refuse une fois de plus à adresser la parole à l'amant qui les nourrit. Duras écrit à propos de ces soirées interminables: « Avec mon amant aussi je danse. Je ne danse jamais avec mon frère aîné, je n'ai jamais dansé avec lui. Toujours empêchée par l'appréhension troublante d'un danger, celui de cet attrait maléfique qu'il exerce sur tous, celui du rapprochement de nos corps ». Même en présence de son amant, la narratrice semble incapable de se débarrasser d'une attraction irréfrénable envers celui qu'elle ne devrait que détester. Cet empire est peut-être la cause de cette impossibilité qu'aura Marguerite Duras d'aimer complètement son amant avant de l'avoir quitté.

Comment conclure ce qui se veut un essai critique de l'une des oeuvres les plus riches de la littérature contemporaine? Il nous serait impossible de commenter tous les aspects du roman de Marguerite Duras, même brièvement. En tentant de brosser un tableau rapide des relations de la narratrice avec sa famille, un constat s'impose: cette dernière, bien loin d'être l'appui nécessaire à la formation psychique de l'adolescente, n'a cessé d'être un handicap, un boulet dont il faudra des décennies à la narratrice pour s'en débarrasser. Le poids de ces personnes paradoxalement chéries est si lourd qu'il en devient impossible pour Marguerite de s'investir pleinement dans une relation extra-familiale sans que celle-ci ne soit reliée d'une quelconque manière à la volonté matriarcale. Cependant, au fil du roman, la narratrice mûrit lentement, prend du recul, attends. Car elle a compris qu'il ne s'agissait que d'une question de temps, et que tôt ou tard elle serait amenée à s'envoler.
Lorsque le moment arrive, son seul levier d'action va se situer dans la passivité, dans l'imposition de cette passivité qu'elle n'a elle-même pas choisi: alors que le Chinois de Cholen se propose d'insister auprès de son père, de tenter une dernière folie, Marguerite Duras le fait taire, lui demande d'accepter le fatal destin, avec la tranquillité de celle qui en a déjà trop vu. Le Chinois de Choeln acquiesce, contraint par le regard, la trahison que vient de faire Marguerite à sa famille: non seulement elle a cessé d'obéir à leurs ordres, mais elle décide d'aller sciemment contre leurs intérêts, en renonçant d'elle-même à un parti fortuné. Qu'importe si elle n'avait pas vraiment le choix, c'est en assumant cette décision que Marguerite peut se dire émancipée à jamais de la tutelle famililale.

mercredi 7 mai 2008

La suggestion en court



La suggestion en court: le Jeudi 29 mai à Sciences-Po, sélection de courts-métrages en collaboration avec la FEMIS.

À partir d'un projet (in)esthétique, tendre un pont vers le spectateur, faire sens, transmettre. Si le long-métrage permet de réaliser ces "missions" de manière relativement simple, avec la mise en place d'une narration plus ou moins élaborée, d'une intrigue sans contraintes de lieu, de temps ou d'espace et des dialogues aux potentialités infinies, il en va autrement pour le court-métrage. Couplé le plus souvent à des moyens très limités, le court-métrage puise dans sa limitation temporelle toute sa puissance: comment, en quelques minutes, réussir à toucher le spectateur, lui faire passer un message, qu'il soit artistique ou politique, et imposer sa vision d'auteur avec la même puissance qu'un long-métrage ? Comment faire jaillir de ces contraintes toute la créativité nécessaire pour rendre intéressante une expérience si éphémère?

En obligeant les créateurs à jouer sur l'invisible, les moindres détails, faute de quoi leur oeuvre serait condamnée à l'oubli, ce format rejette de façon presque organique la facilité de l'explicite. Donner du sens aux choix d'éclairage, à chaque élément du décor, aux regards traversant l'écran: voilà quasiment des obligations pour le créateur s'il veut égaler les oeuvres longues et donner vie à son film.

La suggestion, l'implicite et le symbolique se retrouvent donc naturellement au coeur de nombre de courts-métrage, et nous espérons que cette petite sélection vous en convaincra: le court-métrage n'est pas le parent pauvre du format long, il est, dans l'idéal, son intensification paroxystique.

samedi 3 mai 2008

Rajoy y Zapatero


Il y a parfois des phénomènes qui nous résultent incompréhensibles, qui dépassent notre entendement et provoquent chez nous un désespoir non feint, un vrai abattement. Il est difficile de décrire ce que l'on ressent, difficile d'en parler, difficile de les cerner. Mais la sensation vous prend au ventre, vous le retourne, angoisse. On en resterai pantois, on est interloqués par ce qu'il arrive, et on y peut rien. C'est peut être aussi cette sensation d'impuissance qui contribue au désespoir. Car ce genre d'événements prend parfois une dimension si importante qu'il n'est rien que nous puissions faire pour l'influer. Ou alors c'est ce que nous pensons.

Cette sensation, c'est celle qui vient de me prendre au corps alors que je lisais El Pais (dont je commenterais certainement la qualité dans un autre billet). Sur les 98 pages du journal (hors suppléments), ils en ont dédié une dizaine aux élections qui auront lieu le 9 mars, le même jour que nos municipales. Y sont commentés les derniers sondages (empate tecnico entre les deux candidats principaux), les chiffres de l'économie et du terrorisme, ornementés d'un certain nombre d'articles d'analyse. On y apprend, ou pas, que la situation économique du pays a connu une amélioration encore plus importante que sous les législatures passées, que la situation de l'ETA est tout simplement catastrophique selon un rapport des RG espagnols, que les quatre dernières années ont été celles où le nombre de morts a été le plus faible depuis la transition, que lorsque le candidat du PP Rajoy était ministre de l'intérieur (de 2000 à 2002), il y a eu 38 morts (contre 4 entre 2004 et 2008), que Zapatero a tenu toutes ses promesses électorales, que Rajoy se fait passer pour le candidat de ceux qui « mouillent le maillot », lui qui a plus de 2 millions d'euros dans ses comptes courants...
tous ces nouveaux faits se rajoutent à ce que l'on savait déjà: qu'alors que Zapatero avait soutenu unilateralement toutes les initiatives d'Aznar en termes de terrorisme, le PP a tout fait pour pourrir la situation (Rajoy en arrivant à un « vous faites honte à nos morts )...

en vient une question simple, alors que Rajoy a une vraie chance de gagner: what's goin' on??