dimanche 17 février 2008

Modiano

J'ai beaucoup hésité, mais finalement, j'ai décidé d'assumer les rencontres que j'ai eu la chance de faire, et je vous en parlerai sans m'en cacher.

Le dernier Modiano

J'avais haï Dora Brucker, vraiment. Je l'avais lu il y a quelques années, mais n'avait pas du tout été séduit par le style froid, quasi chirurgical de Modiano, et ne comprenait pas qu'il puisse être considéré comme un grand auteur. Mais son dernier livre, Dans le Café de la Jeunesse Perdue, est sorti un mois après la moisson des concours et de la Rentrée littéraire (ce qui est d'un point de vue marketing très bien joué), lui permettant de décrocher de couvertures des Inrocks et ce faisant ma curiosité. Alors, quand j'ai vu le livre traîner sur une étagère de mon chez moi, je me suis décidé à lui laisser une deuxième chance. Et me retrouve complètement séduit. Loin de la violence feutrée de Coetzee ou de la rance modernité d'un DeLillo, qui sont pour moi les deux grands auteurs de notre époque, Modiano trace ici une toute nouvelle voie dans la littérature moderne, celle de la douceur. Prenant successivement le point de vue des membres d'une bande de jeunes qui se retrouve régulièrement dans un café de l'Odéon, Modiano nous peint la vie de Louki, jeune brune arrivée de nulle part, femme prisonnière de sa timidité et de son manque de confiance, dont on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'elle est née à Pigalle. L'auteur va prendre à contre-courant la tradition littéraire qui veut que l'utilisation d'une narration multi-modale aide à la compréhension d'un personnage au multiples facettes ou au maintien du suspens, pour creuser plutôt au sein des névroses et des peurs de chacun de ces « personnages secondaires » qui se sont retrouvés par hasard dans le Café du Condé alors que, dans le même temps, Louki se révélera elle plutôt constante, tout aussi mystérieuse pour le mari que pour l'étudiant admiratif. Ceux-là, comme le lecteur ou l'amant la perdront de façon tragique sans avoir réussi à la comprendre tout à fait.

La précision l'auteur qui m'avait tant rebutée sur Dora prend ici une dimension nouvelle, tant elle perd de sa froideur pour donner au récit une douceur toute puissante, une douceur qui nous désarçonne et nous laisse à la merci du récit. Attendrissant à plusieurs égards, celui-ci puise son intensité dans la simplicité avec laquelle l'auteur a tenu à décrire ses souvenirs, Patrick Modiano refusant l'utilisation des ficelles narratives spéculatives qui peuplent les écrits d'investigation et d'introspection: aucun événement ne va bouleverser le cours de l'histoire, aucune découverte de dernière minute n'apportera la clé de l'énigme: le roman et les mots coulent sans écueils, au rythme d'une ballade printanière. Cette douceur, c'est aussi l'arme de Louki, la carapace qui lui permet de se tenir à l'écart des autres sans être rejetée, qui lui permet de cacher son passé sans paraître suspecte. Le roman tout entier repose sur cette harmonie entre le style de l'écrivain et le caractère du personnage: cette fin tragique que tout le roman annonçait mais qu'aucun indice ne nous permettait d'anticiper est tout aussi frustrante pour le lecteur que pour les personnages. Patrick Modiano ne cherche pas à nous faire spéculer sur l'avenir de Louki, cela ne semble pas l'intéresser. Il nous porte humblement à la recherche d'un temps perdu, nous accompagnant dans sa quête de sens. Sans nostalgie.



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