dimanche 2 novembre 2008
Tribute to Gerard Damiano
Même si je n'arrive toujours pas à trouver le tempo radiophonique, j'espère que ça viendra...
C'est avec délice et malice que je me dois d'ouvrir cette chronique par une oraison funèbre. Le magicien de la pipe, l'inventeur du film pornographique moderne et miteux, le metteur en scène le plus rentable du cinéma Gerard Damiano nous a quitté la semaine dernière. Réalisateur du oh combien fameux Deep Throat, Gorge Profonde pour les intimes, il fut à l'origine d'une épopée formidable qui rapporta près de 600 milions de dollars aux mafieux qui l'avaient initiée. Premier film pornographique à connaître une vaste diffusion, ce joli navet à 25000 dollars conte l'histoire d'une femme frigide qui découvre que son clitoris se trouve... au fond de sa gorge. Commence alors une odyssée homérique à la recherche de la jouissance, et une avalanche de fellations toutes plus inhumaines les unes que les autres: où l'on voit toutes les trentes secondes un membre de 30 cm englouti avec peine par une pauvre actrice sur le point de s'évanouir.
Le film aura connu un succès retentissant, grâce notamment (et peut être exclusivement) à l'action des autorités, qui interdirent les films sur le territoire de 22 des États d'Amérique, allant même jusqu'à trainer devant les tribunaux l'ensemble de l'équipe du film. S'ensuivit alors un renversement de valeurs comme il n'en existent que chez l'Oncle Sam: les gardiens intouchables de l'ordre moral furent violemment pris à parti et ceux qui se refusaient à voir le film se virent reprocher leur puritanisme vieux jeu: ainsi, peu à peu, le film atteint le réseau de salles traditionnel, et l'interdiction fut réduite aux moins de 17 ans non accompagnés... seulement. Sorti quelques années après la révolution sexuelle de mai 68, le film eut une réelle portée sociétale, ouvrant la porte à la banalisation de la pornographie et à la marchandisation/désacralisation, c'est à vous de choisir, du sexe. L'Amérique n'était pas encore repliée sur elle même, et sa jeunesse avait soif de transgression. Le retour de bâton ne se fit cependant pas attendre, et à l'épidémie de « throat rapes », tous les ados voulant voir leurs copines imiter Linda Lovelace, vinrent s'ajouter de scabreuses rumeurs sur le tournage (Linda Lovelace aurait du tourner certaines scènes le revolver sur la tempe). Il n'en fallait pas plus pour que l'euphorie retombe, et que Reagan se fasse élire. Bye bye sweet seventies, we miss you.
jeudi 30 octobre 2008
mercredi 15 octobre 2008
ça va guincher...
Yaiiiiii
ici à Oslo, la phase quotidienne d'exposition au soleil se fait de plus en plus courte et ce de façon inquiétante. Déjà, les premiers symptômes apparaissent, fatigue latente, paresse qui annoncent un hiver difficile...Mais comme disait la personne qui se trouvait sur ma gauche dans les toilettes hier soir "plus il fait nuit, plus on danse" (dans un anglo-norvégien pas très idiomatique). Et là comme par magie, le très actif label Boys Noize Records nous sort une compilation où l'on retrouve le bordelais et chouchou Strip-Steve, des remix inédits de Boys Noize, j'en passe et des meilleures... Vous pouvez avoir un aperçu de la playlist ici ou là
jeudi 2 octobre 2008
ENTRE LES MURS - Lettre à Jacques Rancière
Monsieur Rancière,
j'espère que vous avez vu Entre les Murs.
Ce film rompt en effet de manière assez forte avec la définition que vous faites du cinéma standardisé "à scénario", dans les premières pages de la Fable cinématographique.
À la classique mise en scène d'une destinée, d'une évolution (plus ou moins) linéaire et centrale d'un certain nombre de personnages et de leurs parcours, ce film oppose une circularité systémique d'autant plus bienvenue qu'elle correspond exactement à celle à laquelle sont soumis les élèves du secondaire.
Le monde de contraintes qu'a décidé de filmer Laurent Cantet, dont la seule partie inamovible, le noyau, se compose de la salle de classe, de ces murs et de ces meubles que l'on voit lors des deux derniers plans du film, est un système disciplinaire fermé dans lequel il faut apprendre à cohabiter cinq, dix ans, avec les mêmes compagnons, les mêmes professeurs, et dans les mêmes lieux. Lieu de la répétition au premier abord, où tout ne fait que passer, il est le symbole de la circularité, d'un monde qui ne cesse, année après année, de se mordre la queue et de tout reprendre à zéro. Du premier dialogue, où une élève refuse d'écrire son nom sur une feuille ("mais pourquoi écrire nos noms?" Rien n'a changé, regardez! On est repartis pour une année, avec quelques nouveaux, voilà tout) au dernier où une autre élève avoue avoir vu passer l'année sans n'y rien comprendre, en passant par l'évacuation progressive de tout élément extérieurs à l'école, la structure du film se base sur cette circularité fermée, où l'individu n'existe que par rapport à l'école: dès le moment où il décide "de l'abandonner", Souleymane déconnecte son parcours de celui de l'école, et donc automatiquement du film. Dès le moment où son sort est scellé, le réalisateur l'abandonne complétement: si filmer le doute des professeurs concernés par son renvoi et s'y associer était permis lorsqu'il faisait encore partie de l'institution, il faut se résoudre à l'oublier dès qu'il est expulsé: c'est pourquoi aucun indice ne viendra nous éclairer sur la suite de son parcours "hors les murs". L'entrée de Carl vise d'ailleurs à rétablir immédiatement un équilibre systémique, et même numérique: l'un chasse l'autre, et la roue tourne.
Cela cependant n'induit pas une répétition permanente, ni un écrasement des individualités par le poids de l'inamovible: encadrés par un certain déterminisme, les mouvements des protagonistes ont un sens autre que celui de contribuer à la survie du système dans lequel ils agissent, autre que celui de valider les règles de la société: ils restent libres d'échouer ou de réussir, de rester dans le jeu ou d'en sortir, mais toujours entre les murs du collège: c'est ainsi que la mère de Souleymane n'apparaît que pour être un support à l'existence du personnage au sein de sa classe, pour apporter un éclairage sur son comportement dans cette pièce et non en dehors.*
Circularité du monde qu'il filme et qu'il ne met pas en scène, circularité du film, avec ces invariants qui pourtant ne sonnent pas comme des déterminants ou un poids. Et oui, année après année élèves et professeurs joueront au football ensemble pour se quitter, quelques soient les présents: l'homme passe, les murs s'encastrent. La force du film est de ne pas s'enfermer dans le fixisme, de ne pas s'arrêter: ce paradoxe qui m'échappe, dont je n'arrive pas encore à saisir le sens: comment, tout en montrant un monde figé, lui interdire tout immobilisme. Comment, malgré les 12 conseils de discipline sur 12 qui ont débouché sur une exclusion, réussir à introduire non pas un espoir, non pas une possibilité de variation, mais une potentialité de changement qui est déjà incluse dans le film, qui n'existe pas mais qui dans le même temps habite l'oeuvre(!).
La circularité du film, par son accouplement avec la circularité du réel décrit, débouche sur une expérience cinématographique nouvelle. En refusant les partis pris réalistes ou naturalistes, en choisissant plutôt de se calquer sur une structure du réel, Cantet opère tel un révélateur photographique et repousse la limite de la fiction cinématographique en la plaçant au-delà de la forme du documentaire, dans une nouvelle réalité faussement fictionnelle. Parce qu'il n'a recours ni à l'imitation ni à la mise en scène, il devient créateur au sens le plus "total" du mot, (re)créateur d'un univers, d'une superstructure dans laquelle l'immersion intégrale devient possible. Un monde à cheval entre les déterminismes, l'absence de sens et la liberté, un monde trop proche du notre pour ne pas nous y immerger. Plus besoin de fonctionner sur l'indentification, sur l'artifice: nous, spectateurs, nous retrouvons collés au film, aux personnages et à l'environnement, dans un statut nouveau, dans lequel nous ne faisons plus face au film, mais qui ne nous permet cependant pas de rentrer dans le film: un entre deux, des deux côtés de l'écran, à une place indéfinissable, radicalement nouvelle.
Je n'ai pas lu les critiques du film, peut être aurais-je du. Peut-être un journaliste a-t-il déjà décrypté de façon beaucoup plus claire, et aboutie, les enjeux de ce film. Et sûrement devrais-je finir la Fable cinématographique avant de vous envoyer ce mail. Mais il a été écrit à la sortie du film, car je sais que mes limites analytiques ne pourraient être dépassées que par le dialogue. Peut-être saurez vous voir plus loin que moi, dans cette même direction.
Désolé de m'être permis de vous adresser ce mail par trop brouillon, qui ne pourrait se justifier que par ma jeunesse. J'espère avoir le bonheur de pouvoir discuter avec vous, à la suite de ce message ou lors d'une projection du Cinéclub de Sciencespo. C'est par ailleurs une dimension intéressante du film, surtout si l'on fait le parralèle avec La Belle Personne, sorti quasiment dans le même temps: tandis qu' Entre les murs ne sort du collège que pour mieux l'expliquer, La Belle personne se refuse à rentrer dans la salle de cours si ce n'est pour y tirer une expérience extra-scolaire: c'est un film apolitique, asystémique. Reste à savoir s'il s'agit de deux films antithètiques qui n'ont rien en commun ou si l'un complète l'autre: la finitude, la perfectio d'Entre les Murs contrastant pour moi avec l'inachèvement de La Belle Personne, la première hypothèse serait à privilégier.
lundi 2 juin 2008
L'amant, de Marguerite Duras
Je voudrais manger les seins d’Hélène Lagonelle comme lui mange les seins de moi dans la chambre de la ville chinoise où je vais chaque soir approfondir la connaissance de Dieu. Etre dévorée de ces seins fleur de farine que sont les siens.
PAULO
Dans les profondeurs d'une Indochine encore coloniale, Marguerite Duras conte l'histoire d'un renoncement. Au sein d'une famille perdue, d'un environnement qui lui impose sa différence, une jeune fille de quinze ans va tenter de tracer son chemin, à cheval entre son désir d'émancipation et les obsessions de sa mère.
Lorsqu'elle rencontre un riche chinois, pendant une traversée du Mékong, l'adolescente prend immédiatement conscience de son empire, du désir qu'elle suscite chez l'homme. Habillée sans pudeur, elle accepte l'invitation que lui fait l'homme, croyant obéir ainsi aux directives de sa mère. C'est le point de départ d'une relation cachée qui va durer plus d'un an, donner un enfant mort-né, faire tomber l'opprobre générale sur la famille... et rapprocher éphémèrement mais éternellement mère et fille.
Marguerite Duras nous amène sur le chemin que va parcourir la jeune fille, cette initiation à la vie où, sous couvert d'une stricte obéissance à la parole maternelle, vont être bravés nombre d'interdits. Cette relation, lorsqu'elle sera mise à jour par la gestation de l'enfant, mettra fin à tout espoir de mariage pour l'adolescente en Indochine, sa réputation étant durablement entachée. Cela provoque la furie de sa mère, désespérée par cette nouvelle trahison (elle la voulait agrégée de mathématique, la fille préfère les lettres), qui la bat sous le regard sadique du frère aîné et les complaintes du petit frère apeuré. La fille jure qu'elle n'agit que pour l'argent, mais trahit ses sentiments par cette même phrase.
Ces sentiments, il semblerait que l'adolescente les refuse, ou tout du moins qu'elle n'en prenne conscience que très tard dans le roman. Plusieurs fois au long du roman, son amant est décrit comme « Le chinois de Cholen », dans une tentative de mise à distance extrêmement violente. Cette relativisation de ses sentiments, de son engagement personnel dans l'histoire, se retrouve aussi dans les descriptions: l'importance donnée aux objets, utilisés comme moyens de dépersonnaliser le récit, est quasiment obsessionnelle. De l'importance donnée au chapeau tout au long du roman jusqu'à la scène des adieux, où Marguerite Duras ne voit plus son amant, mais sa limousine noire dans laquelle il se cachait tous les soirs, l'auteur semble vouloir désincarner cette relation, la réduire à tout ses éléments superficiels qui n'en faisaient que le contour. Plus précisément, il semblerait que ces mécanismes se mettent systématiquement en place lorsque les raisons familiales commencent à s'immiscer dans son histoire d'amour, lorsqu'elle doit choisir entre sa volonté et celle de sa famille: le choix se portant systématiquement vers l'intérêt familial, Duras utilise ces artifices pour cacher, ou suggérer, la honte ressentie. Au contraire, lors des scènes d'union entre les deux personnages principaux, l'on assiste à un retour aux corps purs dénués de tout accessoires. Ainsi pouvons nous interpréter la douche systématique que fait prendre l'amant à la jeune fille comme une volonté de la débarrasser de toute autre possession, toute autre influence que la sienne. Le décor lui-même est réduit à sa plus simple expression- un lit, une fine persienne les séparant de la rue, alors qu'il est généralement très chargé dans le reste du roman (la nature luxuriante, les références constantes au mobilier familial, les restaurants chinois remplis de monde): c'est un retour aux cinq sens, tous intensément exigés lors de ces scènes, à la pureté tant physique que morale, dans un environnement neutralisé: la jeune fille se libère de toutes ses obligations, de tous ses calculs, et se laisse aller, pleurant chaudement, jouissant sans entraves.
L'expérience avec l'amant n'est pas seulement déterminante en ce qu'elle apporte directement à la jeune fille, mais aussi pour la relation avec sa mère. Si, comme nous l'avons vu, la mère réagit tout d'abord de manière extrêmement violente, c'est qu'elle a connu une histoire semblable qui a détruit sa réputation et son couple, menant son amant au suicide. Sa ruine et sa solitude proviennent de cet amour extra-conjugal, et elle cherche donc à ce que sa fille ne reproduise d'aucune manière ce schéma et se range le plus vite possible, avec un bon parti si possible. En la voyant refuser le chemin tout tracé qu'elle lui proposait, la mère se désespère. Pourtant, plus tard, c'est cette relation frustrée qui va permettre aux deux femmes de connaître leur seul moment de complicité, alors que la mère, dont la folie a empiré, connaît une phase de calme. Elles vont alors furtivement discuter de cette relation, de l'amour qui en est né, et, implicitement,, de l'aventure de la mère. Cette scène correspond à la fois au seul moment où la fille réussit à avoir un peu de complicité avec cette mère qu'elle aime mais qui a toujours été absorbée par le fils aîné, un fils prodigue, mais elle est aussi celle du détachement définitif à son égard: plus jamais elle ne pourra ressentir rien pour elle, comme si ces quelques instants d'intense communion lui avaient suffit pour se débarrasser de ce personnage ambigu, oppressant mais jamais « présent ».
Il faut re-situer cette aventure amoureuse dans le contexte familial si particulier qui entoure la narratrice. Née d'une mère qui a sombré dans la folie, et qui n'a d'yeux que pour son fils aîné, elle souffre beaucoup de la présence tutélaire de ce dernier, le frère imposant avec excès sa posture paternelle à toute la famille. Tyran, il comprends la folie de sa mère et sait comment la manipuler, lui tirer le moindre souffle de vie et d'argent: la mère en est presque à prostituer la fille pour alimenter les pêchés de son fils, et l'ambiguïté littérairement suggérée de la relation entre le Chinois et la narratrice semble montrer que Duras elle-même ne savait pas réellement ce qui la poussait dans les bras de l'asiatique, si sa propre volonté où le désespoir de sa mère.
Il a souvent été dit que dans ce roman Marguerite Duras acceptait enfin d'affronter la réalité autrement que par la suggestion et les non-dits, qu'elle osait porter son regard sur son passé sans pudeur. Pourtant, il existe un non-dit de taille qui pèse sur l'ensemble du roman: les noms des protagonistes. Nous ne connaîtrons jamais les noms du frère aîné, de la mère ou encore du « Chinois ». Volonté de mise à distance? Refus de réécrire son passé par l'invention de nouveaux noms? Si l'existence du père n'est même pas suggérée, il y a pourtant un personnage masculin qui, par son absence continuelle, par sa disparition soudaine, prend une importance particulière: il s'agit du frère cadet, Paulo. Se maintenant aux marges du roman, dans les coins des pages, il est pourtant le soutient le plus important de l'auteur dans sa découverte de la vie. Discret, malingre et peut-être atteint de débilité, il semble bénéficier d'une sensibilité particulière, ou tout du moins d'une connexion particulière avec sa soeur: ainsi, alors qu'elle se fait battre, il ne peux que gémir, sans s'exprimer, sans comprendre, alors que le frère se régale des cris de souffrance de sa soeur, en attends plus (« il sait que la petite est nue, et frappée, il voudrait que ça dure encore et encore jusqu'au danger », page 74). Pourtant, la protagoniste sens sa présence, la comprends, s'appuie dessus: grâce à la peur du cadet, la mère laisse passer sa rage.
Paulo, ce frère qui ne parle pas, n'interviens pas, n'apparaît que dans les moments les plus durs, est le seul à être nommé. Paulo l'impuissant, celui qui rage de voir son aîné imposer le mal, celui dont le coeur d'enfant ne suffit pas à équilibrer l'environnement malsain dans lequel baigne la narratrice. Paulo l'aîné de deux ans, mais qui recherche la protection de la narratrice, son amour, sa compréhension. Paulo qui est omniprésent mais dont l'action se réduit à crier, jouer et mourir: il n'existe que parce qu'il n'a pas été, parce qu'il aurait pu être. Il est l'alter-ego, le miroir des souffrances de l'auteur, de sa passivité. Tout comme Hélène Lagonelle, son autre amour, il quittera Duras trop tôt, l'abandonnera à sa solitude et à ses perspectives condamnées. Tout comme Hélène Lagonelle, sa disparition sonne le glas d'une période de sa vie, lui retirera toute raison d'être et la forcera à partir. Tout comme de la part Hélène Lagonelle, son réconfort ne vient pas des mots, mais de cette certitude qu'ils sont maintenant superflus, que l'on peut s'en passer. Le départ de Lagonelle préfigure certainement celui du frère, et avec lui la disparition de tout espoir pour Duras: ils étaient à l'origine des seules respirations qu'elle pouvait se permettre (Paulo l'aide à s'évader en esprits, Lagonelle lui offre le fantasme), et tous deux partent en laissant une relation inachevée, frustrée. Mais contrairement à H.L, qui est mise à distance par l'initialisation de son nom, Paulo ne part jamais réellement, car son départ est inacceptable, incompréhensible. Son absence devient omniprésence, obsession.
Le statut de la relation entre Duras et le Chinois est très ambigu tout au long du roman. S'il semble évident que la volonté de la narratrice est de braver les interdits et de vivre sa relation pleinement envers et contre tous, elle ne peut éviter certains écueils: même lorsqu'elle croit agir envers la parole maternelle en ayant une relation amoureuse et non intéressée, Duras ne fait que reproduire son même schéma d'action. Mais c'est surtout vis-à-vis de son frère qu'elle ne réussit à rompre la relation sado-masochiste et quasi-incestueuse qu'il lui impose. Ce blocage est magnifiquement montré page 68, alors que le frère se refuse une fois de plus à adresser la parole à l'amant qui les nourrit. Duras écrit à propos de ces soirées interminables: « Avec mon amant aussi je danse. Je ne danse jamais avec mon frère aîné, je n'ai jamais dansé avec lui. Toujours empêchée par l'appréhension troublante d'un danger, celui de cet attrait maléfique qu'il exerce sur tous, celui du rapprochement de nos corps ». Même en présence de son amant, la narratrice semble incapable de se débarrasser d'une attraction irréfrénable envers celui qu'elle ne devrait que détester. Cet empire est peut-être la cause de cette impossibilité qu'aura Marguerite Duras d'aimer complètement son amant avant de l'avoir quitté.
Comment conclure ce qui se veut un essai critique de l'une des oeuvres les plus riches de la littérature contemporaine? Il nous serait impossible de commenter tous les aspects du roman de Marguerite Duras, même brièvement. En tentant de brosser un tableau rapide des relations de la narratrice avec sa famille, un constat s'impose: cette dernière, bien loin d'être l'appui nécessaire à la formation psychique de l'adolescente, n'a cessé d'être un handicap, un boulet dont il faudra des décennies à la narratrice pour s'en débarrasser. Le poids de ces personnes paradoxalement chéries est si lourd qu'il en devient impossible pour Marguerite de s'investir pleinement dans une relation extra-familiale sans que celle-ci ne soit reliée d'une quelconque manière à la volonté matriarcale. Cependant, au fil du roman, la narratrice mûrit lentement, prend du recul, attends. Car elle a compris qu'il ne s'agissait que d'une question de temps, et que tôt ou tard elle serait amenée à s'envoler.
Lorsque le moment arrive, son seul levier d'action va se situer dans la passivité, dans l'imposition de cette passivité qu'elle n'a elle-même pas choisi: alors que le Chinois de Cholen se propose d'insister auprès de son père, de tenter une dernière folie, Marguerite Duras le fait taire, lui demande d'accepter le fatal destin, avec la tranquillité de celle qui en a déjà trop vu. Le Chinois de Choeln acquiesce, contraint par le regard, la trahison que vient de faire Marguerite à sa famille: non seulement elle a cessé d'obéir à leurs ordres, mais elle décide d'aller sciemment contre leurs intérêts, en renonçant d'elle-même à un parti fortuné. Qu'importe si elle n'avait pas vraiment le choix, c'est en assumant cette décision que Marguerite peut se dire émancipée à jamais de la tutelle famililale.
mercredi 7 mai 2008
La suggestion en court
La suggestion en court: le Jeudi 29 mai à Sciences-Po, sélection de courts-métrages en collaboration avec la FEMIS.
À partir d'un projet (in)esthétique, tendre un pont vers le spectateur, faire sens, transmettre. Si le long-métrage permet de réaliser ces "missions" de manière relativement simple, avec la mise en place d'une narration plus ou moins élaborée, d'une intrigue sans contraintes de lieu, de temps ou d'espace et des dialogues aux potentialités infinies, il en va autrement pour le court-métrage. Couplé le plus souvent à des moyens très limités, le court-métrage puise dans sa limitation temporelle toute sa puissance: comment, en quelques minutes, réussir à toucher le spectateur, lui faire passer un message, qu'il soit artistique ou politique, et imposer sa vision d'auteur avec la même puissance qu'un long-métrage ? Comment faire jaillir de ces contraintes toute la créativité nécessaire pour rendre intéressante une expérience si éphémère?
En obligeant les créateurs à jouer sur l'invisible, les moindres détails, faute de quoi leur oeuvre serait condamnée à l'oubli, ce format rejette de façon presque organique la facilité de l'explicite. Donner du sens aux choix d'éclairage, à chaque élément du décor, aux regards traversant l'écran: voilà quasiment des obligations pour le créateur s'il veut égaler les oeuvres longues et donner vie à son film.
La suggestion, l'implicite et le symbolique se retrouvent donc naturellement au coeur de nombre de courts-métrage, et nous espérons que cette petite sélection vous en convaincra: le court-métrage n'est pas le parent pauvre du format long, il est, dans l'idéal, son intensification paroxystique.
samedi 3 mai 2008
Rajoy y Zapatero
Il y a parfois des phénomènes qui nous résultent incompréhensibles, qui dépassent notre entendement et provoquent chez nous un désespoir non feint, un vrai abattement. Il est difficile de décrire ce que l'on ressent, difficile d'en parler, difficile de les cerner. Mais la sensation vous prend au ventre, vous le retourne, angoisse. On en resterai pantois, on est interloqués par ce qu'il arrive, et on y peut rien. C'est peut être aussi cette sensation d'impuissance qui contribue au désespoir. Car ce genre d'événements prend parfois une dimension si importante qu'il n'est rien que nous puissions faire pour l'influer. Ou alors c'est ce que nous pensons.
Cette sensation, c'est celle qui vient de me prendre au corps alors que je lisais El Pais (dont je commenterais certainement la qualité dans un autre billet). Sur les 98 pages du journal (hors suppléments), ils en ont dédié une dizaine aux élections qui auront lieu le 9 mars, le même jour que nos municipales. Y sont commentés les derniers sondages (empate tecnico entre les deux candidats principaux), les chiffres de l'économie et du terrorisme, ornementés d'un certain nombre d'articles d'analyse. On y apprend, ou pas, que la situation économique du pays a connu une amélioration encore plus importante que sous les législatures passées, que la situation de l'ETA est tout simplement catastrophique selon un rapport des RG espagnols, que les quatre dernières années ont été celles où le nombre de morts a été le plus faible depuis la transition, que lorsque le candidat du PP Rajoy était ministre de l'intérieur (de 2000 à 2002), il y a eu 38 morts (contre 4 entre 2004 et 2008), que Zapatero a tenu toutes ses promesses électorales, que Rajoy se fait passer pour le candidat de ceux qui « mouillent le maillot », lui qui a plus de 2 millions d'euros dans ses comptes courants...
tous ces nouveaux faits se rajoutent à ce que l'on savait déjà: qu'alors que Zapatero avait soutenu unilateralement toutes les initiatives d'Aznar en termes de terrorisme, le PP a tout fait pour pourrir la situation (Rajoy en arrivant à un « vous faites honte à nos morts )...
en vient une question simple, alors que Rajoy a une vraie chance de gagner: what's goin' on??
Salvador et culture française
Une chanson douce
Bon, Henri Salvador est mort. Et facebook est resté muet, alors que ça avait été l'orgie de groupes pour la mort de Carlos, quelques jours auparavant. Étonnant, enfin je suppose: moi je n'ai connu ni l'un ni l'autre. Mais Salvador, j'en avais beaucoup entendu parler alors que Carlos là, quedal. Je me dis que c'est à cause de la tendance à la dérision la plus totale qui règne sur Facebook. La mort du gros, ça fait marrer, le mec de 90 ans...
Résultat, j'ai téléchargé tout le répertoire de Salvador sur limewire, histoire d'avoir une idée du personnage. Confirmation, à part le lion est mort, je connais pas. Même une chanson douce, le truc aux paroles douteuses là: « il pris la biche dans ses bras, la petite biche sera toi si tu veux ». Mouais.
En parlant de téléchargements, la riposte graduée vient d'être adoptée et si j'ai bien compris, je risque d'avoir dans les 24 heures un mail de ... de qui? de la CNIL, du ministère de l'intérieur, de mon commissariat? Bon bref, je vais me faire taper sur les doigts, et je crains que ce post ne m'aide pas. En effet, malgré mon super pseudo-de-la-mort-qui-tue et qui me rend incognito, les législateurs ont décidé que mon adresse IP n'était pas une « information personnelle » et qu'elle pourrait donc être utilisée afin de m'identifier (cherchez l'erreur) lors d'un procès. Et ce, alors que la CNIL vient de dire le contraire. Youpi. En gros, l'ordre est de retour sur internet, et c'est pas la joie. Moi, l'internet, j'ai connu ça très tôt pour mon âge, et j'ai eu la chance de profiter de cet immense espace de liberté avant que les moralisateurs ne débarquent. On parle souvent de Napster comme symbole de cet âge d'or. Mais Napster, c'est un symbole pour Geek, c'était à se tirer une balle tellement c'était compliqué. Justement, c'est tout le contraire de ce qu'était sensé représenter internet à cette époque. Non, les vrais symboles d'un internet ouvert à tous, basé sur la coopération et la liberté, un vrai bordel d'anarchistes mais lisible quoi, c'était Audiogalaxy et Kazaa. L'un puis l'autre. Audiogalaxy, parce que c'était un site à la charte graphique extra-agréable qui ressemblait comme deux goûtes d'eau aux sites des Majors, où il suffisait de taper le nom de la chanson et de cliquer dessus pour la télécharger. Gratuitement, au nez et à la barbe de tous, et ce grâce à la mise à disposition des bandes passantes des utilisateurs. Le kiffe. Je me souviens encore de l'angoisse qui m'a pris lorsque j'ai téléchargé ma première chanson. Je devais avoir 11 ans, et j'ai du l'avouer à mes parents tellement j'avais mal au ventre. Mais ils n'ont rien dit, je pense qu'ils ne savaient même pas de quoi je leur parlait. Résultat, c'est vite passé.
Aujourd'hui, les plateformes de téléchargement illégales doivent se cacher, reprendre des formes impossibles, des noms inaccessibles, les utilisateurs partageux se sont envolés au profit des occasionnels qui ne partageraient leur bande-passante pour rien au monde: résultat, l'offre se réduit drastiquement et les autorités veulent porter le coup final. Moi, du haut de mes 18 ans, je dis merci à tous ceux qui ont participé à cette aventure, qui m'ont permis de sortir du tryptique Backstreet Boys-Aqua-Lorie pour découvrir une autre forme de culture, au nez et à la barbe des ayants droit mais pour mon plus grand bonheur et celui des groupes que j'ai découvert (dont j'ai souvent acheté ensuite les CD).
Au prochain numéro, la justification de ce comportement scandaleux.
Bon, Henri Salvador est mort. Et facebook est resté muet, alors que ça avait été l'orgie de groupes pour la mort de Carlos, quelques jours auparavant. Étonnant, enfin je suppose: moi je n'ai connu ni l'un ni l'autre. Mais Salvador, j'en avais beaucoup entendu parler alors que Carlos là, quedal. Je me dis que c'est à cause de la tendance à la dérision la plus totale qui règne sur Facebook. La mort du gros, ça fait marrer, le mec de 90 ans...
Résultat, j'ai téléchargé tout le répertoire de Salvador sur limewire, histoire d'avoir une idée du personnage. Confirmation, à part le lion est mort, je connais pas. Même une chanson douce, le truc aux paroles douteuses là: « il pris la biche dans ses bras, la petite biche sera toi si tu veux ». Mouais.
En parlant de téléchargements, la riposte graduée vient d'être adoptée et si j'ai bien compris, je risque d'avoir dans les 24 heures un mail de ... de qui? de la CNIL, du ministère de l'intérieur, de mon commissariat? Bon bref, je vais me faire taper sur les doigts, et je crains que ce post ne m'aide pas. En effet, malgré mon super pseudo-de-la-mort-qui-tue et qui me rend incognito, les législateurs ont décidé que mon adresse IP n'était pas une « information personnelle » et qu'elle pourrait donc être utilisée afin de m'identifier (cherchez l'erreur) lors d'un procès. Et ce, alors que la CNIL vient de dire le contraire. Youpi. En gros, l'ordre est de retour sur internet, et c'est pas la joie. Moi, l'internet, j'ai connu ça très tôt pour mon âge, et j'ai eu la chance de profiter de cet immense espace de liberté avant que les moralisateurs ne débarquent. On parle souvent de Napster comme symbole de cet âge d'or. Mais Napster, c'est un symbole pour Geek, c'était à se tirer une balle tellement c'était compliqué. Justement, c'est tout le contraire de ce qu'était sensé représenter internet à cette époque. Non, les vrais symboles d'un internet ouvert à tous, basé sur la coopération et la liberté, un vrai bordel d'anarchistes mais lisible quoi, c'était Audiogalaxy et Kazaa. L'un puis l'autre. Audiogalaxy, parce que c'était un site à la charte graphique extra-agréable qui ressemblait comme deux goûtes d'eau aux sites des Majors, où il suffisait de taper le nom de la chanson et de cliquer dessus pour la télécharger. Gratuitement, au nez et à la barbe de tous, et ce grâce à la mise à disposition des bandes passantes des utilisateurs. Le kiffe. Je me souviens encore de l'angoisse qui m'a pris lorsque j'ai téléchargé ma première chanson. Je devais avoir 11 ans, et j'ai du l'avouer à mes parents tellement j'avais mal au ventre. Mais ils n'ont rien dit, je pense qu'ils ne savaient même pas de quoi je leur parlait. Résultat, c'est vite passé.
Aujourd'hui, les plateformes de téléchargement illégales doivent se cacher, reprendre des formes impossibles, des noms inaccessibles, les utilisateurs partageux se sont envolés au profit des occasionnels qui ne partageraient leur bande-passante pour rien au monde: résultat, l'offre se réduit drastiquement et les autorités veulent porter le coup final. Moi, du haut de mes 18 ans, je dis merci à tous ceux qui ont participé à cette aventure, qui m'ont permis de sortir du tryptique Backstreet Boys-Aqua-Lorie pour découvrir une autre forme de culture, au nez et à la barbe des ayants droit mais pour mon plus grand bonheur et celui des groupes que j'ai découvert (dont j'ai souvent acheté ensuite les CD).
Au prochain numéro, la justification de ce comportement scandaleux.
Ennui et MCM
Lorsque je rentre dans mon QG lors d'un week-end ou de vacances, je passe inévitablement par la case MCM top.
Vestige d'un temps où je m'y ennuyais beaucoup, cette habitude m'est restée et je m'amuse à disséquer les clips des grandes stars. Curieusement, ce sont quasiment toujours des femmes. Je pense que ça a véritablement commencé avec Shakira, pour laquelle j'ai fait une véritable généalogie, cherchant en ses vidéo et chansons les récurrences, tentant de différencier ce qui venait d'elle et du directeur, de trouver les grandes lignes de sa stratégie en termes d'image... j'en ai tiré une longue analyse que je vous épargnerai ici. Aujourd'hui, je me suis attaqué à Alizée, le clone européen de Britney Spears en réussi. Même profil initial, même évolution vers un registre plus acide, mais différence de taille: l'une a su garder son public initial et cette schizophrénie si rentable, tandis que l'autre a sombré dans les travers que l'on sait.
Cette mise en perspective est toujours intéressante, tant elle permet de réaliser à quel point les ficelles du marketing sont grosses et universelles: on tente de nous vendre un produit formaté à la racine, dont le résultat final varie un peu en fonction du talent de l'interprète et de l'écrivain, mais qui reste facilement identifiable à un genre, un type bien précis: la spécificité semble bien peu rentable, et je crains que la scène pop française n'ait pas su se renouveler à partir de ce formatage, comme a su si bien le faire le cinéma américain, qui nous offre chaque semaine sont lot de super-productions risquées, que ce soit en termes de scénario ou de réalisation. Je ne vois tristement pas la même chose pour la pop.
La culture française, me semble-t-il, galère un peu de ce côté là: nous avons notre Christophe Maé, Jack Johnson francophone, notre flopée d'Alizée et de Lorie, nous avons eu nos boys-band lorsque le concept avait du succès... heureusement que la scène éléctro permet au pays d'être l'avant-garde musicale mondiale. Mais Mister Nuts saura bien mieux en parler que moi.
Vestige d'un temps où je m'y ennuyais beaucoup, cette habitude m'est restée et je m'amuse à disséquer les clips des grandes stars. Curieusement, ce sont quasiment toujours des femmes. Je pense que ça a véritablement commencé avec Shakira, pour laquelle j'ai fait une véritable généalogie, cherchant en ses vidéo et chansons les récurrences, tentant de différencier ce qui venait d'elle et du directeur, de trouver les grandes lignes de sa stratégie en termes d'image... j'en ai tiré une longue analyse que je vous épargnerai ici. Aujourd'hui, je me suis attaqué à Alizée, le clone européen de Britney Spears en réussi. Même profil initial, même évolution vers un registre plus acide, mais différence de taille: l'une a su garder son public initial et cette schizophrénie si rentable, tandis que l'autre a sombré dans les travers que l'on sait.
Cette mise en perspective est toujours intéressante, tant elle permet de réaliser à quel point les ficelles du marketing sont grosses et universelles: on tente de nous vendre un produit formaté à la racine, dont le résultat final varie un peu en fonction du talent de l'interprète et de l'écrivain, mais qui reste facilement identifiable à un genre, un type bien précis: la spécificité semble bien peu rentable, et je crains que la scène pop française n'ait pas su se renouveler à partir de ce formatage, comme a su si bien le faire le cinéma américain, qui nous offre chaque semaine sont lot de super-productions risquées, que ce soit en termes de scénario ou de réalisation. Je ne vois tristement pas la même chose pour la pop.
La culture française, me semble-t-il, galère un peu de ce côté là: nous avons notre Christophe Maé, Jack Johnson francophone, notre flopée d'Alizée et de Lorie, nous avons eu nos boys-band lorsque le concept avait du succès... heureusement que la scène éléctro permet au pays d'être l'avant-garde musicale mondiale. Mais Mister Nuts saura bien mieux en parler que moi.
dimanche 17 février 2008
Modiano
J'ai beaucoup hésité, mais finalement, j'ai décidé d'assumer les rencontres que j'ai eu la chance de faire, et je vous en parlerai sans m'en cacher.
Le dernier Modiano
J'avais haï Dora Brucker, vraiment. Je l'avais lu il y a quelques années, mais n'avait pas du tout été séduit par le style froid, quasi chirurgical de Modiano, et ne comprenait pas qu'il puisse être considéré comme un grand auteur. Mais son dernier livre, Dans le Café de la Jeunesse Perdue, est sorti un mois après la moisson des concours et de la Rentrée littéraire (ce qui est d'un point de vue marketing très bien joué), lui permettant de décrocher de couvertures des Inrocks et ce faisant ma curiosité. Alors, quand j'ai vu le livre traîner sur une étagère de mon chez moi, je me suis décidé à lui laisser une deuxième chance. Et me retrouve complètement séduit. Loin de la violence feutrée de Coetzee ou de la rance modernité d'un DeLillo, qui sont pour moi les deux grands auteurs de notre époque, Modiano trace ici une toute nouvelle voie dans la littérature moderne, celle de la douceur. Prenant successivement le point de vue des membres d'une bande de jeunes qui se retrouve régulièrement dans un café de l'Odéon, Modiano nous peint la vie de Louki, jeune brune arrivée de nulle part, femme prisonnière de sa timidité et de son manque de confiance, dont on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'elle est née à Pigalle. L'auteur va prendre à contre-courant la tradition littéraire qui veut que l'utilisation d'une narration multi-modale aide à la compréhension d'un personnage au multiples facettes ou au maintien du suspens, pour creuser plutôt au sein des névroses et des peurs de chacun de ces « personnages secondaires » qui se sont retrouvés par hasard dans le Café du Condé alors que, dans le même temps, Louki se révélera elle plutôt constante, tout aussi mystérieuse pour le mari que pour l'étudiant admiratif. Ceux-là, comme le lecteur ou l'amant la perdront de façon tragique sans avoir réussi à la comprendre tout à fait.
La précision l'auteur qui m'avait tant rebutée sur Dora prend ici une dimension nouvelle, tant elle perd de sa froideur pour donner au récit une douceur toute puissante, une douceur qui nous désarçonne et nous laisse à la merci du récit. Attendrissant à plusieurs égards, celui-ci puise son intensité dans la simplicité avec laquelle l'auteur a tenu à décrire ses souvenirs, Patrick Modiano refusant l'utilisation des ficelles narratives spéculatives qui peuplent les écrits d'investigation et d'introspection: aucun événement ne va bouleverser le cours de l'histoire, aucune découverte de dernière minute n'apportera la clé de l'énigme: le roman et les mots coulent sans écueils, au rythme d'une ballade printanière. Cette douceur, c'est aussi l'arme de Louki, la carapace qui lui permet de se tenir à l'écart des autres sans être rejetée, qui lui permet de cacher son passé sans paraître suspecte. Le roman tout entier repose sur cette harmonie entre le style de l'écrivain et le caractère du personnage: cette fin tragique que tout le roman annonçait mais qu'aucun indice ne nous permettait d'anticiper est tout aussi frustrante pour le lecteur que pour les personnages. Patrick Modiano ne cherche pas à nous faire spéculer sur l'avenir de Louki, cela ne semble pas l'intéresser. Il nous porte humblement à la recherche d'un temps perdu, nous accompagnant dans sa quête de sens. Sans nostalgie.
Le dernier Modiano
J'avais haï Dora Brucker, vraiment. Je l'avais lu il y a quelques années, mais n'avait pas du tout été séduit par le style froid, quasi chirurgical de Modiano, et ne comprenait pas qu'il puisse être considéré comme un grand auteur. Mais son dernier livre, Dans le Café de la Jeunesse Perdue, est sorti un mois après la moisson des concours et de la Rentrée littéraire (ce qui est d'un point de vue marketing très bien joué), lui permettant de décrocher de couvertures des Inrocks et ce faisant ma curiosité. Alors, quand j'ai vu le livre traîner sur une étagère de mon chez moi, je me suis décidé à lui laisser une deuxième chance. Et me retrouve complètement séduit. Loin de la violence feutrée de Coetzee ou de la rance modernité d'un DeLillo, qui sont pour moi les deux grands auteurs de notre époque, Modiano trace ici une toute nouvelle voie dans la littérature moderne, celle de la douceur. Prenant successivement le point de vue des membres d'une bande de jeunes qui se retrouve régulièrement dans un café de l'Odéon, Modiano nous peint la vie de Louki, jeune brune arrivée de nulle part, femme prisonnière de sa timidité et de son manque de confiance, dont on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'elle est née à Pigalle. L'auteur va prendre à contre-courant la tradition littéraire qui veut que l'utilisation d'une narration multi-modale aide à la compréhension d'un personnage au multiples facettes ou au maintien du suspens, pour creuser plutôt au sein des névroses et des peurs de chacun de ces « personnages secondaires » qui se sont retrouvés par hasard dans le Café du Condé alors que, dans le même temps, Louki se révélera elle plutôt constante, tout aussi mystérieuse pour le mari que pour l'étudiant admiratif. Ceux-là, comme le lecteur ou l'amant la perdront de façon tragique sans avoir réussi à la comprendre tout à fait.
La précision l'auteur qui m'avait tant rebutée sur Dora prend ici une dimension nouvelle, tant elle perd de sa froideur pour donner au récit une douceur toute puissante, une douceur qui nous désarçonne et nous laisse à la merci du récit. Attendrissant à plusieurs égards, celui-ci puise son intensité dans la simplicité avec laquelle l'auteur a tenu à décrire ses souvenirs, Patrick Modiano refusant l'utilisation des ficelles narratives spéculatives qui peuplent les écrits d'investigation et d'introspection: aucun événement ne va bouleverser le cours de l'histoire, aucune découverte de dernière minute n'apportera la clé de l'énigme: le roman et les mots coulent sans écueils, au rythme d'une ballade printanière. Cette douceur, c'est aussi l'arme de Louki, la carapace qui lui permet de se tenir à l'écart des autres sans être rejetée, qui lui permet de cacher son passé sans paraître suspecte. Le roman tout entier repose sur cette harmonie entre le style de l'écrivain et le caractère du personnage: cette fin tragique que tout le roman annonçait mais qu'aucun indice ne nous permettait d'anticiper est tout aussi frustrante pour le lecteur que pour les personnages. Patrick Modiano ne cherche pas à nous faire spéculer sur l'avenir de Louki, cela ne semble pas l'intéresser. Il nous porte humblement à la recherche d'un temps perdu, nous accompagnant dans sa quête de sens. Sans nostalgie.
jeudi 14 février 2008
le blog est mort
On le sait déjà, le blog c'est dépassé, c'est du déjà-vu, du déjà fait, les plus rationalistes diraient même que le marché est bouché. Heureusement ce qu'on fait là, en écrivant ces quelques mots de façons plus ou moins régulière, c'est de l'abstrait. C'est de l'écriture automatique. C'est aussi sans doute régaler notre ego. Pourtant, c'est surtout parce que le blog est devenu un média comme un autre que nous l'avons choisi même si nous ne serons pas ces vieux bloggers éternels , ceux qui ont tout connu, qui ont tout déballé, qui ont tout vu et tout fait. Passée cette introduction un peu barbare, abordons les sujets du blog, car c'est au bout du compte le plus intéressant.
Dire FRENCH CULTURE IS NOT DEAD c'est une façon très simple d'élever un peu sa voix. C'est détourner des propos qui au premier abord pourraient avoir des airs un peu réac' mais qui au fond sont très sérieux. Nous avons la chance de vivre dans un monde en changement permanent, alors autant tenter de suivre ce changement et de vivre avec notre temps.
Ces billets, nous les écrirons à partir de ce qui nous passe par la tête, de nos émotions et un peu de nos réflexions en toute modestie du haut de notre jeune âge.
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